Bryan Ferry, double mixte: "Ce projet est encore plus excitant, car il y a de très bons textes et la voix magnifique d'Amelia"
En collaboration avec l'écrivaine Amelia Barratt, entre poésie et musique, le dandy crooner se réinvente sur l'album "Loose Talk". Un virage artistique qui emmène la voix de Roxy Music loin, très loin des formats pop

- Publié le 29-03-2025 à 18h09

Cinq mois après avoir célébré ses cinquante ans de carrière solo avec l'élégante et copieuse anthologie de 81 titres Retrospective : Selected Recordings 1973-2023, le dandy à la voix de velours entame un nouveau virage artistique. Son nouvel album Loose Talk est le fruit d'une collaboration avec l'écrivaine, peintre et performeuse anglaise Amelia Barratt. Amelia signe et déclame onze textes, tandis que Bryan Ferry compose et joue les musiques. Ce n'est pas du Roxy Music, ni de la pop, à l'exception peut-être de la plage titulaire qui clôture le disque. "Je vois ce nouveau projet comme une conversation entre deux artistes issus de générations différentes, nous explique Bryan Ferry, 79 ans. C'est une œuvre cinématographique. De la musique mise en images avec des mots." Brouillant les frontières entre l'ambient, le spoken word, la poésie et l'art, Loose Talk s'inscrit pourtant bien dans la continuité de l'œuvre de cette icône du cool, toujours guidée par la recherche du beau. "Cette expérience est totalement inédite. Le travail d'Amelia est empreint d'une atmosphère très forte et j'étais conscient de l'importance de ne pas instaurer des barrières à ses paroles. Nous avons créé quelque chose qu'aucun de nous deux n'aurait pu créer séparément."
Comment avez-vous rencontré Amelia Barratt ?
Je l'ai découverte sur scène lors d'une performance autour de son ouvrage Real Life en 2022. Elle m'a impressionné pour ses mots, sa présence physique, sa voix et sa diction. Je lui ai prêté mon studio londonien de Kensington pour qu'elle enregistre une version audio de Real Life. Amelia m'a ensuite aidé sur quelques paroles de chansons inachevées. Je lui ai également proposé d'écrire de nouveaux textes sur lesquels j'allais mettre de la musique. Le titre "Star" qui figurait en bonus sur mon anthologie Retrospective Selected Recordings a marqué le début de notre collaboration.
C'est la première fois que vous sortez un album sans écrire les paroles et sans y mettre votre voix. Vous y pensiez depuis longtemps ?
Cela fait plusieurs années que je rêve de publier un album instrumental, mais je n'ai jamais eu l'occasion de le faire. Ce projet est encore plus excitant, car il y a de très bons textes et la voix magnifique d'Amelia. De mon côté, j'ai ressenti une liberté totale. C'est la première fois que je peux composer de la musique sans tenir compte du format chanson, des couplets, des refrains, du pont…
Quand on prononce votre nom, on pense à votre voix, votre présence physique et vos costumes. Loose Talk, c'est aussi une manière de rappeler que vous êtes musicien ?
Non, je ne ressens pas cette frustration du musicien sous-estimé. Tous ceux qui ont suivi mon parcours dans Roxy Music et en solo savent que je compose et que je joue des claviers. Je crois humblement que je me débrouille suffisamment bien comme musicien pour ne pas devoir le rappeler. Ce qui est intéressant dans Loose Talk, c'est que j'ai pu à la fois créer de nouvelles musiques et retravailler des idées plus anciennes. Les mélodies de "Holiday" et d'"Orchestra" datent par exemple de mon album solo Boys And Girls en 1985. J'aime l'idée que ce nouveau projet soit ancré dans tout ce que j'ai fait avant.
Êtes-vous encore intéressé par le monde de la pop ?
Quand je découvre aujourd'hui une chanson pop, c'est uniquement par accident. Je n'en écoute plus personnellement. Ce n'est pas un rejet, mais j'ai envie de rattraper mon retard dans d'autres genres musicaux, notamment le classique que j'ai beaucoup trop négligé. Quand je travaille dans mes bureaux de Kensington, j'écoute une radio qui ne diffuse que du classique, je mets aussi des disques jazz. Bref, de la musique loin des formats pop. Demain soir, j'assiste à un concert dédié à Georg Friedrich Haendel. J'ai aussi pris mes places pour aller voir Les Quatre derniers lieder de Richard Strauss au Royal Albert Hall de Londres.
Depuis vos débuts avec Roxy Music en 1971, votre approche musicale est étroitement liée à d'autres expressions artistiques comme la photographie, la mode, la littérature ou la peinture. D'où tenez-vous cette démarche ?
J'ai commencé à suivre des études artistiques à la Holland Park School, à Londres. Je me suis ensuite inscrit à l'université de Newcastle où j'ai eu la chance d'avoir une professeur d'art qui m'a pris sous son aile. Ce n'était pas un conservateur qui ne jurait que par le classique, les grands poètes anglais ou un courant spécifique dans la peinture. Il m'a encouragé à être curieux. Je vois encore deux amis que j'ai rencontrés durant ces années universitaires. On dîne régulièrement ensemble et on échange sur tout ce qu'on vient de découvrir : expos, concerts, beaux livres… C'est passionnant. Dans mes bureaux de Kensington, tous les membres de mon équipe sont plus jeunes que moi. C'est le cas aussi d'Amelia Barratt (36 ans, NdlR), ça me permet d'être confronté en permanence à de nouvelles idées en matière de graphisme, de vidéo ou d'enregistrement. C'est une bonne dynamique.
Qu'avez-vous appris en travaillant sur votre anthologie "Retrospective Select Recordings" recouvrant vos cinquante ans de carrière solo ?
J'ai écouté mon équipe en réalisant cette anthologie et ça m'a permis d'avoir un autre regard sur mon travail. L'ordre des 81 chansons de l'anthologie n'est pas chronologique. On est loin du "best of" traditionnel. On y trouve bien sûr les chansons les plus connues de mon répertoire, mais il y a aussi un CD avec mes reprises favorites, un autre avec des titres qui sont restés dans l'ombre et ma première collaboration avec Amelia.
Vous êtes l'un des rares artistes à avoir réussi à mener avec succès une carrière solo parallèlement à celle de votre groupe. Comment l'expliquez-vous ?
J'ai eu la chance de travailler avec des musiciens à la personnalité unique dans Roxy Music. J'y trouvais tout l'espace créatif pour mes chansons. Mon premier disque solo, These Foolish Things, en 1973, n'est pas né, comme c'est souvent le cas, de la frustration de ne pas pouvoir m'exprimer comme je le voulais dans mon groupe. C'était un disque de reprises. La différence avec mon travail au sein de Roxy Music était très claire. David Bowie a sorti Pin-Ups au même moment, également un album de covers. Les médias nous ont mis en compétition, créant un buzz qui a été bénéfique à nos deux disques. Ce succès m'a permis de continuer à faire d'autres albums solo. Les musiciens de Roxy ont, du reste, toujours répondu présent quand je leur proposais d'y participer.
Vous allez tourner avec Amelia Barratt ?
L'album se prête à des performances visuelles. J'ai réalisé la vidéo qui accompagnait le morceau "Star" et il y en aura encore deux autres. Avec Amelia, on réfléchit déjà à un autre album commun. De mon côté, j'ai aussi retravaillé avec le producteur américain Bob Clearmountain sur des versions remixées en son Surround de l'album Avalon de Roxy Music (1982) et de mon disque solo Boys And Girls (1985).
Le critique anglais Peter York a dit que vous méritiez d'être exposé au Tate Museum. L'idée vous séduit-elle ?
Quitte à me retrouver dans un musée, je choisirais le Metropolitan Museum à New York. Peter est un ami. L'idée est drôle, mais puis-je tenir dans un cadre ?
Amelia Barratt Bryan Ferry, Loose Talk. Suburban