Pourquoi la série Netflix "Adolescence" fait tant parler d'elle
C'est la série du moment et, peut-être, avancent déjà certains, celle de l'année. Créée par Jack Thorne et Stephen Graham (qui joue le rôle du père), diffusée depuis le 13 mars sur Netflix, elle démarre par l'arrestation musclée d'un adolescent de treize ans suspecté de meurtre. De ces quatre épisodes filmés en plan séquence, qui démultiplient les angles et les questions, on ne sort pas indemne. Nous avons sollicité deux psychologues qui ont vu "Adolescence" afin qu'elles en décryptent les ressorts. Attention : leurs propos dévoilent certains éléments de l'intrigue.

- Publié le 29-03-2025 à 16h03
- Mis à jour le 30-03-2025 à 08h07

Héloïse Louvegny et Gwenaëlle Bresmal, psychologues cliniciennes spécialisées dans l'adolescence et doctorantes à l'UCLouvain, ont regardé la série britannique "Adolescence" avec beaucoup d'intérêt. Toutes deux s'accordent à dire qu'une des raisons du succès de cette série – outre la technique du plan séquence qui immerge le spectateur au cœur des choses – est que Jamie, l'adolescent de 13 ans arrêté, est "un adolescent qu'on pourrait croiser n'importe où. Il est dépeint comme ayant une vie assez normale : il va l'école, traîne avec ses copains, commence à s'intéresser aux filles, utilise Instagram… Ce qui fait que tout un chacun peut se reconnaître en lui".
L'âge de 13 ans, explique Gwenaëlle Bresmal, est "une période charnière. Après une enfance paisible, tout peut basculer à l'adolescence. La série évite les clichés simplistes : ici, les choses dérapent alors que Jamie ne se drogue pas, n'est pas placé en institution, n'a pas été abusé sexuellement, et n'est pas un ado schizophrène ou atypique".
Pour Héloïse Louvegny, si cette série a tant d'écho, c'est aussi parce qu'elle aborde les thèmes très actuels que sont le harcèlement et le cyberharcèlement. "Les ados ont accès aux réseaux sociaux de plus en plus tôt, ce qui les expose à des risques de dérives et à des contenus de nature sexuelle. Et le fait qu'on en arrive à un meurtre, cela interpelle forcément la société. Et l'on constate que via Instagram, certains peuvent discuter longuement en soirée avec des condisciples avec lesquels ils n'échangent pas lorsqu'ils les croisent à l'école." Et de poursuivre : "Du côté des parents, la série peut susciter de la crainte et de la peur, parce qu'ils se disent que leur ado est peut-être harcelé sans qu'ils le sachent. Dans le troisième épisode, Jamie montre un manque de confiance en lui et un manque d'estime de lui, il a besoin d'être reconnu. Le harcèlement a pu le fragiliser. On est ici dans un cas extrême, mais qui peut exister".
Deuil non reconnu
De son côté, Gwenaëlle Bresmal a été très marquée par "la vie secrète des ados. Lorsque le fils du policier explique à son père la signification des émoticônes, on voit que l'adulte avait tout sous le nez sans avoir rien compris. Des émoticônes qui paraissent inoffensives vont mener à un acte d'une extrême violence. Un cœur mauve, rose ou bleu : même un parent attentif peut ne pas voir de quoi il retourne".
Une autre force de cette série est, selon Héloïse Louvegny, de s'intéresser au coupable. "On ne voit pas les parents de la fille qui est décédée, seulement ceux de Jamie qui affrontent, eux aussi, un deuil, non reconnu celui-là, puisque c'est leur enfant qui a tué. Dès lors, ils n'ont guère de soutien, voire pas du tout, et sont stigmatisés. Or ils ont perdu un enfant, celui qu'ils imaginaient, pour se retrouver avec un enfant qui a commis un acte terrible. Ce sont des victimes collatérales."
Déculpabiliser
D'ailleurs, ajoute-t-elle, ces parents "ont l'air d'être des parents comme Mr et Mme Tout-le-Monde, ils ne semblent ni maltraitants, ni défaillants. Ce qui montre que tout ne repose pas sur leurs épaules : il y a des facteurs que les parents ne peuvent pas maîtriser. Or dans la société, on affirme souvent que les enfants qui commettent de tels actes, c'est parce qu'ils n'ont pas de famille soutenante, ou qu'ils ont subis des abus ou des violences. Ce n'est pas forcément le cas". Gwenaëlle Bresmal précise, elle, que cela "permet de déculpabiliser complètement les parents qui se remettent en question et se demandent ce qu'ils ont loupé. Or ils sont disponibles comme des parents qui travaillent, et c'est ce qui résonne si fort. Tout n'est pas blanc ou noir, il y a toute une série d'éléments gris qui vont mener au drame".
Au final, note encore Héloïse Louvegny, "la série déconstruit toute une série de préjugés et de stéréotypes. C'est encore le cas avec la psy. On se représente les psychologues comme des êtres qui ne craquent pas, qui doivent encaisser. Or ici, la psychologue ne va pas bien, elle est même déstabilisée par certaines questions posées par Jamie. Ce genre de situation peut arriver en consultation : le psychologue n'a pas réponse à tout".
Enfin, Gwenaëlle Bresmal conclut en relevant qu'"on voit que le Jamie du début n'est pas le même après avoir passé du temps sous les verrous, ce qui soulève des questions. Comment traiter ces ados ? Que met-on en place pour les aider ? La série ouvre aussi ce champ de réflexion".